Madame D. avait 85 ans. Veuve depuis plus de trois ans, elle vivait seule dans un bel appartement où elle venait de s’installer avec son mari lorsque celui-ci est subitement décédé. Cette mort avait réactivé chez elle la douleur de la perte de l’un de ses enfants, décédé aussi subitement quelques jours après son mariage. Ses enfants et petits enfants conscients de la situation l’entouraient de toute leur affection et passaient la voir quasiment tous les jours.
Madame D., très reconnaissante de toute l’attention que lui portait sa famille, n’avait plus envie de vivre pour autant ; Elle acceptait difficilement que ses forces la quittent et l’obligent à se ménager. Elle avait dû raccourcir le trajet de ses promenades et renoncer à faire des courses que ses enfants lui faisaient volontiers très régulièrement. A chaque visite elle me faisait part de son désir de partir : « je ne suis plus utile pour personne, je ne sers plus à rien ». J’en concluais qu’elle ne vivait plus que pour son mari et qu’elle était entièrement à son service alors qu’elle en parlait comme d’un homme très actif jusqu’au dernier jour. Elle me confia même qu’elle priait parfois pour que Dieu la prenne. « Je sais ajouta-t-elle aussitôt, cela ne se fait pas, j’ai honte, mais je ne veux plus vivre ».
Je l’encourageais à vivre toutes les fois que je la visitais relevant les bonnes choses qu’elle me rapportait. Je lui proposais des lectures, des émissions de télé ou de radio. Elle les écoutait parce que c’était une femme curieuse et intelligente. Elle savait discuter de tout et se tenait au courant sur les évolutions du monde. Mais rien n’y faisait ; l’envie de mourir était toujours là. Elle voulait mourir paisiblement dans son lit.
Elle n’en eut pas l’occasion. Un été, alors que sa famille et tous ceux qui l’entourions régulièrement étions en vacances, au cœur de la nuit elle se jeta dans la rivière qui passait au pied de son immeuble. La face contre terre dans une flaque d’eau. Elle périt noyée.
Madame D, à la voix douce et aux gestes délicats avait dû utiliser la violence pour mourir. Elle n’avait pas d’autre choix, elle qui voulait mourir coûte que coûte, que d’utiliser des moyens violents. Seuls quelques privilégiés peuvent se donner la mort en douceur : les médecins, pharmaciens, vétérinaires, quelques chimistes ou encore gens de pouvoirs. Pourquoi pas les autres. Devoir utiliser la violence pour se donner la mort me parait inacceptable. Au siècle dernier il y avait des poisons en libre circulation. Beaucoup de ruraux s’empoisonnaient à la taupicine, souvent à la suite d’amours déçus. Ces produits ont été retirés du marché libre.
Certes, on objectera qu’il faut encourager d’abord les gens à vivre et que les solutions létales en libre circulation amèneront le suicide d’un dépressif qui demain irait bien et retrouverait le goût de vivre. C’est vrai. Une déception amoureuse peut être dépassée et il n’y a aucune raison à laisser mourir la personne déçue. Nous sommes dans une toute autre situation lorsqu’une personne rassasiée de jours et souffrante nous dit vouloir partir. Ne doit-elle pas rester dans ce cas le maitre de sa vie. Récemment une vieille dame s’est donné la mort après en avoir averti son fils, homme politique connu et sa fille, philosophe ayant pignon sur rue. Pourquoi seuls quelques privilégiés auraient-ils cette possibilité ?
Ce droit de choisir de mourir lorsque la vie devient une corvée est différent de l’euthanasie. Pour cette dernière c’est un autre qui demande la mort et non la personne concernée. Cet autre accomplit l’acte de mort. Dans ce cas un droit fondamental est violé. Aucune personne au monde ne peut avoir droit de mort sur une autre. Se pose alors le cas de ces malades -comme le cas Imbert- qui n’ont pas la possibilité de se donner la mort et la demandent à un autre parce qu’ils sont entièrement dépendants des autres. Si mettre à leur disposition le produit et leur rendre le maximum des possibilités restantes afin qu’ils puissent eux-mêmes mettre fin à leur vie ne suffit pas, la demande du malade doit être prise en compte, et étudiée avec la famille, l’équipe médicale et des représentants de la justice.
Il me semble donc impératif qu’un individu ne puisse pas choisir la mort pour un autre mais toute personne doit pouvoir choisir la mort pour elle-même sachant qu’il nous appartient à nous tous, les vivants, de les encourager à vivre sans les contraindre et les obliger mais en aménageant leur environnement et en manifestant beaucoup de tendresse à leur égard. Je dirai donc volontiers NON à l’Euthanasie active mais laissons choisir les malades qui malgré toute la compassion dont on a pu leur témoigner n’en peuvent plus et veulent mourir. Ayons la force d’accepter qu’ils puissent se donner la mort autrement que par des actes violents. Ne les obligeons pas à se pendre, se jeter d’une falaise, se noyer ou se tirer un coup de fusil. Il n’y a rien de pire pour eux, avec de surcroît le risque de se rater et de trainer par la suite culpabilité et lourd handicap à vie.
Et oui : il y a un moment pour vivre et un moment pour mourir.
Enfin, je dirai qu’aborder la question de l’euthanasie et de la fin de vie sous l’angle du droit à mourir pour ceux qui ne veulent plus vivre tant la vie leur est insupportable ouvre de nouvelles façons d’aborder le sujet tout en le dédramatisant puisqu’il ne s’agit plus d’envisager la mort de l’autre mais de soi. Soyons plus courageux pour envisager notre mort et moins prompt à envisager celle des autres ! Un vieux Monsieur me disait un jour : « devant mes douleurs rhumatismales, ma mauvaise vue, ma surdité, mon isolement et j’en passe, j’ai souvent envie de mourir, je souhaite même ma mort, mais si à ce moment là un médecin se présentait à moi pour me faire une injection létale je dirais non et encore non ». Serait-il donc plus facile d’envisager la mort des autres que la sienne ? Je le crains.
Pour conclure je ne peux pas m’empêcher de penser Au Christ dont la force a été d’envisager sa propre mort pour refuser celle des autres. Oser mourir me semble être un des points forts de l’Evangile.