Cher Drisse,
Je comprends ton inquiétude. Sache toutefois qu’un trou de mémoire n’est pas synonyme d’Alzheimer. Les médecins nomment cette affection « maladie de la mémoire » afin de n’effrayer personne. D’autres symptômes plus inquiétants accompagnent une perte de mémoire comme la répétition d’une question ou la réponse donnée chaque fois avec la même précision ne semble pas enregistrée par le malade, des obsessions revenant régulièrement pendant plusieurs jours voire des mois, des prises de parole décalées par rapport au sujet traité sur le moment.
Au début de la maladie l’entourage croit à un changement de caractère ou de tempérament. La personne semble démultiplier ses qualités comme ses défauts. Son attitude comme son comportement deviennent de moins en moins supportables. C’est alors que se pose la question de la maladie. Les tests confirment. Chacun essaie de comprendre. Découvrir la maladie capte l’attention. Puis les réactions du malade deviennent de plus en plus inappropriées. S’opposer à ses dérives peut entrainer des réactions de violence difficiles à contenir. Il peut tout aussi bien se replier sur lui-même et ne plus communiquer avec l’extérieur. Le choix de ne pas le contrarier l’emporte le plus souvent. Très vite ce choix entraine une position tyrannique de sa part puisqu’il ne reconnaît aucune limite. Cette tyrannie sera épuisante jusqu’à détruire ses plus proches qu’il semble ne pas reconnaître par moments. Le temps du placement arrive alors. Malgré la perte de raison, le malade dans une lucidité passagère, due peut-être au choc de l’annonce qu’il ne peut plus rester chez lui, refuse alors tout placement dans un service spécialisé. Le départ de la maison sera des plus difficiles pour ceux qui l’aiment et qui l’ont accompagné jusque là. Que de stratagèmes à mettre en place pour éviter la contrainte par force et combien il est difficile de ruser et mentir à ceux que l’on aime et que l’on respecte malgré la perte de la raison.
Je ne sais pas mon cher Drisse si mes propos vont te rassurer. Tu peux toujours consulter un site médical pour avoir un tableau clinique précis de cette maladie. Ma lettre ne se veut pas un traité scientifique, je l’écris à partir de ce que j’ai vécu et ressenti. Depuis que la personne concernée par la maladie est prise en charge par un établissement spécialisé, nous avons tous un très fort sentiment de liberté ce qui ne manque pas de nous culpabiliser. Sommes –nous libres au détriment des autres ? L’irrationnel serait-il l’ennemi de la liberté ?