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13 juin 2023 2 13 /06 /juin /2023 09:35

Incinération/ crémation

            Lors d’une conversation avec des amis en grande peine après avoir  perdu leur fils âgé d’une trentaine d’années nous en sommes venus à échanger sur les nouvelles normes concernant l’homologation des anciens cimetières dans les propriétés privées. La pollution des sols était au premier plan. Connaissant leur conviction au sujet de l’écologie, j’osais leur parler de la crémation. Ceci était d’autant plus évident que quelques jours auparavant un responsable des pompes funèbres me disait prévoir que d’ici une dizaine d’années la crémation deviendrait obligatoire à cause du manque de place dans les cimetières. Ceci me paraissait sensé du point de vue de la pollution. J’y voyais aussi une aide dans le processus du deuil. La crémation devenait alors non seulement une lutte contre la pollution (plus de cimetières privés ou publics) mais plus encore une invitation à repenser la mort.  

            Leur réaction fut immédiate et me surprit. Ils s’opposaient à la crémation. Leur argument était d’une part qu’il fallait laisser une trace pour rappeler l’existence du disparu, d’autre part qu’il fallait pouvoir se recueillir sur la tombe des disparus par respect pour eux, pour ne pas les oublier et entretenir l’amour qu’on leur portait.  Pour avoir accompagné puis présidé de nombreuses cérémonies funèbres, j’avais pu constater qu’effectivement les familles tenaient au tombeau et se rendaient assez souvent au cimetière pour penser à leurs morts et apporter des fleurs. A mes yeux ces habitudes étaient plutôt négatives. J’y vois trois raisons.

-Tout d’abord le cout de l’entretien de la tombe -voire de la construction d’un tombeau- pour des familles en difficultés financières qui consacraient plus d’argent au mort qu’au vivant. Le chagrin et la peine viennent troubler la raison, ils éloignent du réel.

-La visite au cimetière peut devenir une astreinte. J’ai vu des hommes et des femmes qui après la perte de leur conjoint se rendaient  au cimetière tous les jours pendant plusieurs années. J’ai même rencontré une maman qui après avoir perdu sa fille unique  depuis plus de vingt ans se rendait toutes les semaines au cimetière. « Je ne vis que pour ma fille » disait-elle. N’y a-t-il pas là une manière d’entretenir la douleur de la séparation, de s’enfermer dans une vie répétitive, étroite pour renoncer à une vie renouvelée ?

-Enfin, vouloir conserver le corps sinon en l’embaumant, tout au moins en entretenant  et fleurissant la tombe, n’est-ce pas s’enfermer dans l’illusion que ce corps reviendra à la vie telle que le défunt l’a connue.  Une dame de quatre-vingt-dix ans, percluse de rhumatisme, me disait qu’elle voulait bien ressusciter à condition de revenir à l’âge de vingt ans. Pour ceux qui croient à la résurrection, je rappellerai que le tombeau où Jésus avait été déposé était vide. La résurrection du Christ ce n’est ni le corps qui retrouve la vie, ni un retour dans le corps initial lors des apparitions. Le corps aperçu relève de l’imaginaire du croyant. L’apparition ne dure qu’un temps à un moment précis. Jésus ayant remis son esprit entre les mains du divin avant de mourir, cet esprit se manifeste à celui qui veut le voir. La matière corporelle est devenue esprit autrement dit force de vie. L’apparition du Christ n’est pas un évènement, c’est une confession de foi.

Je peux ici faire part de mon expérience. Il y a plus de dix ans maintenant, j’ai perdu ma mère. Elle tenait une grande place dans ma vie puisque ayant perdu mon père lorsque j’avais treize ans, elle nous a élevés seule avec ma sœur et mon frère avec la tendresse d’une mère et l’autorité d’un père. Son décès a été une lourde épreuve avec beaucoup de culpabilité tant je me rendais compte de ce qu’elle avait fait pour ses trois enfants. J’avais un  sentiment d’ingratitude vu ce qu’elle avait fait pour moi afin que je devienne un homme comme elle se plaisait à le dire.

Elle a refusé la crémation et repose aux cotés de notre père, son mari avec qui elle a vécu seulement pendant treize ans. Quinze jours après son décès, je revenais sur sa tombe pour accompagner un de nos fils qui n’avait pu être là lors des obsèques. Quelle déception : je ne retrouvais plus ma mère mais un tas de terre. L’inscription de son nom sur une mini stèle ne changeait rien. De retour chez nous à plus de quatre cent kilomètres je décidais de ne plus revenir au cimetière. J’encadrais  alors trois photos où elle était tantôt avec mon épouse, tantôt avec nos enfants et même ses  petits-enfants. Je plaçais ces photos dans le couloir menant aux chambres afin qu’elles ne soient pas exposées aux yeux de tous mais que je puisse les voir selon mon envie. Très vite je sentis une émotion de joie et de reconnaissance qui montait en moi lorsqu’en passant je regardais, sans m’attarder, les photos. Depuis, avec le temps,  je sens un sourire s’esquisser autour de ma bouche toutes les fois que je regarde. C’est un pur bonheur.

Maman n’est pas au cimetière, elle est là, avec moi. Les photos font vibrer mon  cœur et mon esprit en même temps. Je la porte en moi. Devant la photo, je ne dis plus ma mère, je dis maman. Elle est redevenue la maman qui m’a toujours aimé et que j’aime toujours. Les morts et les vivants nous cheminons ensemble.   

Il y a quelques mois, j’ai eu l’occasion de revenir au pays de mon enfance.  . Je me suis rendu au cimetière. Ce fut une nouvelle déception. Un tas de terre, quelques fleurs, une plaque avec son nom. Mais elle n’était pas là. Je suis vite reparti pour retrouver la joie de l’avoir dans mon cœur et mon esprit. Je continue mon chemin avec elle. Je n’éprouve pas le besoin de revenir au cimetière. Elle n’y est plus. Elle est ressuscitée. C’est l’amour que nous portons à nous-même et aux autres qui ressuscite. L’amour peut tout.  Je souscris à cette remarque  de Peretti  en 1997 : «Il est possible que chacun de nous soit une essence spirituelle continuant et durant au-delà du temps, et occasionnellement incarnée dans un corps humain ».  

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Qui suis-je ?

     Titulaire d'une maitrise de théologie et d'un DESS de psychopathologie clinique, j'ai été amené à exercer plusieurs fonctions  et plus particulièrement la mise en place d'un centre socio- culturo- spirituel protestant puis la direction pendant 12 ans d'un centre de cure pour malades alcoliques. J'y ai découvert l'importance d'apprendre à écouter l'humain dans toutes les dimensions qui le constituent. Aujourd'hui, inscrit au rôle des pasteurs de l' Eglise Réformée de France, j'essaie de mettre des mots sur mes expériences et de conceptualiser mes découvertes.
serge soulie

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