lectures bibliques : Jean 15 / 1-8 Ephésiens 4 /4-7 Esaie 5/1-7
Nous constatons tous les jours combien les humains ont besoin de s'attacher aux êtres ou aux choses, de manière individuelle ou collective. La plus connue de ces choses est l'argent. IL faut choisir dira Jésus à son sujet: " Dieu ou l'argent". Le risque dû à l'argent parcours l'Ancien comme le Nouveau testament. S'attacher à l'argent est destructeur pour l'homme. Les faux dieux peuvent aussi prendre la place d'objets auxquels l'humain s'attache. A Babylone, en Canaan, en Egypte en Grèce, chez les Romains, ces dieux prenaient la forme de figurines, de statuettes, ou d'entités imaginaires. Plus près de nous ces faux dieux sont des superstitions et autres croyances. Dans la société actuelle, le culte rendu aux manifestations sportives par des millions de gens a toute les allures d'une religions de masse. Les idéologies politiques ou religieuses captent des foules nombreuses qui s'enflamment sans retenue pour une cause sans jamais la remettre en question tant elles sont subjuguées. Jésus a parlé de "foules sans berger" pour signaler leur errance. Un musulman, Ibn Khaldun sociologue et historien arabe, mort au Caire en 1406, écrit que l' être reste attaché à son clan, qu'il a un "esprit de corps", une sorte de solidarité d'attachement et d' appartenance aux ancêtres du même sang et qu'il persévère sans se soucier du monde qui l'entoure. Cet attachement sans condition on peut le retrouver chez des gens sensés pensant être dans le bon droit. Je me souviens de deux sœurs qui ne se pardonnaient pas d'avoir suivi Pétain jusqu'en 1944. Elles considéraient que les résistants n'étaient que des terroristes comme le disait la propagande de l' époque. Soucieuses d'être fidèles à l'Evangile elles appliquaient le conseil de l' apôtre Paul " soyez soumis aux autorités", sans s'interroger davantage. Elles obéissaient. Il avait fallu toute la persuasion du Pasteur de l' époque et de quelques amis voisins pour les faire changer d'idée et prendre de nouvelles mesures en désobéissant aux consignes données par le gouvernement de Vichy. Pour elles c'était le plus difficile parce que c'était ne pas suivre ce que dit la bible. Cet exemple, nous montre le danger de suivre à la lettre des Ecritures plutôt que l' Esprit. Les textes bibliques parce qu'ils ne tombent pas du ciel doivent être soumis à la raison. Ceci est vrai pour tous les livres dits "sacrés".
L'antidote de cette tentation, qui est de suivre et de rester dépendant de quelque chose ou de quelqu'un, serait selon l' évangéliste Jean, de s'attacher à Jésus. Chaque humain peut ainsi devenir entièrement libre, indépendant de son clan, de son groupe, de son ethnie. Fini l'appartenance religieuse , politique, tribale... Jésus est le cep, souche universelle à laquelle tous les humains sont attachés.
La première réaction serait alors de dire:" en quoi s'attacher à Jésus? est-il plus libérateur que de s'attacher à un autre humain"? . Il faut bien constater que l' Eglise n'a pas toujours prêché l'indépendance et l' autonomie de l' être . Elle l'a enfermé dans des dogmes et des croyances dénuées de toutes raisons . Reich, le contemporain de Freud raillait les bigotes qu'il décrivait comme prisonnières du Christ jusqu'à en être amoureuses et à renoncer à s'unir à un homme. Aujourd'hui encore beaucoup de chrétiens sont dépendants de leur curé ou de leur pasteur. Ils ne peuvent ni penser par eux même ni prendre des décisions sans en référer à celui qui s'établit et qu'ils établissent comme leur directeur de conscience.
Jésus semble répondre à trois conditions, trois raisons, qui font que l'on ne peut pas devenir prisonnier de sa personne
- La première est que celui à qui l'on s'attache ne se présente pas comme un chef de clan et de parti. Qu'il soit en quelque sorte inclassable. Vous savez le mal que se donne les historiens et les théologiens pour rattacher Jésus à tel ou tel courant de pensée. A peine ont-ils trouvé un lien de parenté qu'une autre information vient la démentir et ainsi de suite . Jésus est vraiment au dessus de tout ce qui est connu: il n'est pas pharisien, il n'est pas saducéen, il n'est pas zélote, il n'est pas de la secte de Qumram... mais il est un peu tout cela. C'est peut-être une des raisons pour laquelle on dit qu'il vient du ciel. Aujourd'hui, après la résurrection, Jésus est présent parmi nous -non plus en chair et en os mais en esprit. Il nous laisse libre de le penser et de le concevoir, de l'accepter ou de le refuser. Allons plus loin: c'est l'esprit du Père qu'il nous donne. Pas le sien. Il pose même une distance entre lui et nous afin qu'il ne devienne pas une idole pour nous. Il est médiateur entre le père et nous. Il ne peut pas devenir une idole. Seul Dieu est esprit.
-La deuxième, Jésus n'est pas un chef ou un gourou mais un maître . Un chef , c'est celui qui nous commande. Vous obéissez. Il n'y a pas à discuter. Vous êtes à son service. C'est lui le responsable. Vous, vous passez au second plan. Un gourou c'est quelqu'un qui vous fascine et qui vous séduit. Vous avez le sentiment qu'il réalise ce que vous êtes incapable de faire. Il vous enlève tout esprit critique. Avec le chef vous avez parfois le sentiment qu'il confisque votre liberté et votre initiative, qu'il vous contraint. Avec le gourou, vous êtes dans l'illusion que vous faites ce que vous souhaitiez faire en toute liberté. Vous pensez avoir choisi. Le gourou vous amène où il veut et vous pensez au plus profond de vous même que c'est bien là que vous souhaitiez aller. Le maître ne vous commande pas. ll ne vous séduit pas davantage. Il ne confisque pas votre liberté. Il vous permet de devenir vous même, un adulte responsable, capable d'initiative et de création. Vous ne le suivez pas, vous ne vous identifiez pas à lui, vous vous inventez. Vous devenez l'unique. "Je t'ai appelé par ton nom dit Dieu". Il vous amène à ne pas être seulement un individu parmi d'autres mais un sujet, avec toute votre singularité. C'est comme sujet que vous vous intégrez à la communauté des humains. Jésus sera le maitre qui vous fait accoucher de vous-même comme le reconnait le jeune homme riche ,Marthe , Marie et ceux qui le rencontraient. Un maître en détachement comme celui que cherche Alexandre Jollien dans le philosophe nu.
Enfin , la troisième condition - certainement la plus importante - est que Jésus n'est pas perçu seulement comme un humain parmi les autres mais comme celui représentant l'ensemble de l'humanité. Il n'est pas seulement le corps de l' Eglise comme nous avons l'habitude de le dire reprenant très partiellement une pensée de l' apôtre Paul, il est le corps de l'humanité tout entière ce qui nous oblige d'ailleurs à ne rejeter personne. Avec Jésus nous ne sommes pas devant un prophète qui parlerait de la part de Dieu, nous sommes devant l'humanité tout entière et c'est dans cette humanité que la parole de Dieu, jusqu'ici faite entendre au prophète, s'incarne dans l'humanité tout entière, Jésus en étant en quelque sorte le prototype. ( bien que nous soyons nombreux, nous formons un seul corps 1cor10/17) ou encore: "il y a un seul corps et un seul esprit de même qu'il y a une seule espérance. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu le père de tous. Eph4/4-5) Il ne s'agit pas pour nous de ramener des gens à Jésus par adhésion par exemple, il s'agit de reconnaitre en tout homme quel qu'il soit et- plus particulièrement quelle que soit sa religion, sa place dans le corps de Jésus. Tu peux être chrétien, musulman, juif, bouddhiste, athée, tu as ta place dans le corps de Jésus, tu es un frère. J'insiste! ce n'est pas de la récupération, c'est reconnaître en Chacun- sur cette terre en tout cas- sa place dans l'humanité. Et tout ceci crée des obligations que les humains ont bien du mal à assumer. Se référer à Jésus, c'est se référer à l'humanité toute entière. Paul le dira autrement disant "qu'il n'y a plus ni juifs ni grecs... Gal3/28 col 3/11" Nous pouvons ajouter aujourd'hui ni croyants, ni incroyants, ni musulmans, ni juifs, ni chrétiens, ni bouddhistes. Tous les sarments se rattachent à lui y compris ceux qui ne portent pas de fruits.
Ainsi, les humains ont tout à gagner à rester attachés au cep c'est à dire à Jésus, et par extension à l'humanité, car à partir de là, Dieu peut tailler, émonder, purifier, quelle que soit la conception que je puisse avoir de Lui. Rester attaché à l'humanité c'est se mettre à la disposition de Dieu, afin d' acquérir toute la dimension humaine, porter des fruits et mettre en scène dans ce monde ce que doit être l' existence humaine. Inversement, se soustraire à l'humanité en s'enfermant dans une religion, une nationalité , un camp - quel qu'il soi-, c'est se soustraire au Dieu de Jésus Christ, au Père de l'humanité. Un philosophe chrétien dont vous avez certainement entendu parler , Gabriel Marcel, signale l'opposition radicale qu'il y a entre ' l'être et l' avoir. L'avoir, c'est le régime sous lequel nous vivons dans notre monde moderne. L'homme y est amené à posséder, à s' approprier le plus possible de choses et à s'attacher à elles sans que ce besoin d'avoir" toujours plus" prenne fin. Mais, tous ces avoirs, toutes ces possessions, deviennent pour lui des problèmes, des obstacles infranchissables sur la route de la vie. Il est leur prisonnier. Dans cette parabole de" la vraie vigne", Jésus nous invite non à posséder mais à être. Etre est un mystère qui m'entraine à aller plus loin, à découvrir de nouvelles choses, à porter des fruits. Jésus nous arrache à ce monde de la consommation et de l'attachement, nous pourrions aller jusqu'à dire de l'esclavage. L'esclave est celui qui est enfermé dans un statut où aucune liberté n'est possible.
Mais, attention! L'humanité est réuni au même cep, nous baignons dans la même existence. L'autre n'est pas séparé de moi. Il n'est pas un "lui" séparé de moi mais un "tu", pas un problème mais un mystère dira Gabriel Marcel. Loin de l'autre, je suis ce rameau qui sèche, inutile, bon à être jeté. Plus de sève, plus rien ne me nourrit. Loin de l'autre, je suis aussi loin de Dieu qui est le fondement de toute chose. Sa gloire ne peut plus participer à ma transformation .
Conclusion
Ce texte est très souvent lu - il suffit d'en regarder sur internet les commentaires- comme une mise en garde, un tri entre les bons et les méchants, un avertissement pour ceux qui n'adhéreraient pas à Jésus Christ. "Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme un sarment, il se dessèche, puis on le ramasse, on le jette au feu et il brûle". Cette lecture ne me semble pas autorisée. En effet, au verset 9 le texte se poursuit ainsi: "Comme le père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimé. Demeurez dans mon amour." Et au verset 12: "Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Nul n'a d'amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu'il aime". Autrement dit, si Jésus se présente comme le cep, comme la vraie vigne (traduction plus exacte mais s'accordant moins avec l'attachement du sarment, une vigne est composée de plusieurs ceps) c'est par amour pour l'humain. Ce n'est pas pour le rejeter. Jusqu'à présent la vigne était le peuple d' Israël planté et protégé de dieu, elle aurait dû produire les fruits de justice , de sainteté. Désormais c'est Jésus qui devient la vigne. Comme je le disais au début , Jésus représente bien l'humanité, le nouveau peuple, il n'est pas seulement une personne à laquelle j'adhère, il est l'humanité tout entière. Il ne s'agit pas ici d'une substitution, d'un remplacement d'Israël par Jésus, comme l'a parfois prêché l' Eglise (ce qui a entretenu l' antisémitisme) et comme nous le reprochent les penseurs juifs comme Levinas, mais il s'agit d'un élargissement à toute l'humanité incluant bien sûr le peuple d' Israël. Celui-ci n'est pas rejeté, exclu mais intégré à l'humanité toute entière. L'élection, l' amour de dieu qui étaient des données de la pensée juive pour elle même, (seul le peuple juif était l' élu) devient avec Jésus, universelle. Et aujourd'hui le peuple juif doit être fier de ce que sa découverte d'un dieu qui élit et aime ne s'adresse pas qu'à lui mais au monde entier. Il n'y a plus un peuple juif, un peuple chrétien, un peuple musulman, un peuple d'athées, il y a un peuple de Dieu qui témoigne de manière différente de cet amour de Dieu et de son choix de l'humain. Dieu, le père, le vigneron cultive l'humanité toute entière même si son champ est divisé en parcelles différentes et si le jus du raisin a des goûts différents quelle que soit sa couleur. Jésus nous fait percevoir que Dieu est le Dieu de tous.