Etude à partir du texte biblique
- Luc 13/ 1-9 -
Jésus s’oppose ici à l’idée selon laquelle l’humain serait puni selon ses péchés. Si des galiléens ont été massacrés ce n’est pas parce qu’ils étaient plus grands pécheurs que les autres galiléens. Si la tour de Siloé s’est écroulée sur dix huit personnes ce n’est pas parce qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem. S’il y a eu un tremblement de terre à Haïti et si les immeubles se sont écroulés sur des millions de morts ce n’est pas parce que les haïtiens ont pêché plus que nous, si les vendéens sont morts à cause des inondations ce n’est pas parce qu’ils étaient plus coupables que d’autres.
En affirmant que tous ces morts ne sont pas plus coupables que d’autre, Jésus semble rendre inutiles toutes les religions dont Freud disait déjà –mais cette analyse a été depuis reprise par beaucoup d’autres y compris par les religions elle - que leur rôle principal était de délivrer l’humanité du péché et du sentiment de culpabilité. C’est bien ce que nous disons en tant que chrétiens lorsque nous affirmons que Jésus est mort pour nous.
Il y a ceux qui disent que Jésus n’est pas venu fonder une nouvelle religion mais rendre caduques celles qui existent. En effet, d’une part il s’est montré très sévère vis-à-vis de la religion juive et d’autre part, en prêchant la grâce donnée d’emblée à tout homme, sans condition, idée reprise par Paul dans l’épitre aux Romains, il rend caduque toute attitude religieuse voire toute croyance dont le but serait d’obtenir le salut qui nous est donné par avance.
Cette position me parait assez juste et proche de ce que nous dit le récit de Luc. Il est toutefois difficile de le dire aussi clairement parce que, si nous affirmons que le christianisme n’est pas une religion, nous nous coupons des autres religions et du dialogue indispensable qui doit s’établir avec celles-ci. Par ailleurs, les chrétiens en sont-ils vraiment persuadés ? En effet, il est difficile, non seulement pour le chrétien mais pour le commun des mortels, de renoncer aux mérites. Les expressions qui nous viennent à l’esprit spontanément sont « à chacun selon ses mérites, il le mérite bien, il n’a que ce qu’il mérite ». Pour nous le mérite fait parti du bon sens commun, il est porteur de justice et satisfait aux impératifs de la morale. Il justifie les richesses les plus extravagantes et les décorations les plus douteuses.
Cette notion de mérite est tout à fait étrangère à la pensée de Jésus comme le démontre aussi un certain nombre de ses paraboles telles que « l’ouvrier de la onzième heure ». Jésus ne se satisfaisant pas de ce qui nous paraît aller de soi concernant le mérite, il nous interpelle .
Qui décide du mérite d’un autre ? Les décisions seront-elles les mêmes suivant la place de celui qui décide : Est-il un ami ? Un supérieur hiérarchique ? Appartient –il au même clan (politique, religieux, syndical, associatif…) ? Est-il intéressé par la situation? Si c’est un homme s’adresse- t- il à une employée revêche ou à une séductrice avérée ? Si c’est une femme même chose bien sûr.
Que juge- t-on pour attribuer un mérite : La personne ou le travail accompli ? S’il s’agit du travail quels sont les critères de référence pour l’apprécier et qui a mis en place de tels critères ? Quels facteurs sont pris en compte : le temps, l’humeur et la qualité des relations de la personne avec ses collègues, la rigueur dans le travail, la répétivité du geste ou à l’inverse l’inventivité ? Autant de réponses qui impliquent des choix.
Comment définir ce qui est objectif ? Comment saisir ce qui est subjectif ? Et comment prendre en compte toutes les interférences de l’objectivité et de la subjectivité ?
Il apparaît assez clairement -sauf situation exceptionnelle ou faute professionnelle avérée- que l’on peut trouver autant de raisons déclarant le mérite d’une personne et d’augmenter son salaire que de la déclarer déméritante et de ne rien lui donner en plus (ce qui revient à le lui baisser). On peut alors comprendre pourquoi Jésus ne semble pas vouloir s’engager dans un système rétributif mais faire grâce à tous, on peut aussi comprendre pourquoi toutes les religions ont tant de mal à accepter la grâce et préfèrent empiler exigences et obligations.
Enfin, et c’est très important, dans la création il y a des forts et des faibles, des malades et des bien portants, des adroits et des maladroits, des stables et des instables, sans oublier les bien nés et ceux qui sont mal tombés. Faut-il faire des discriminations ou privilégier la solidarité et la répartition qui deviennent dans ce cas des données fondamentales de l’amour du prochain. Bien sûr, il ne s’agit pas de renoncer aux exigences utiles à un bon fonctionnement, il ne s’agit pas de renoncer aux efforts nécessaires et de reconnaître ceux qui en font ; il s’agit de s’interroger sur la place que nous donnons à ceux qui n’ont pas les moyens (intellectuels, matériels, psychologiques) de la prendre par eux-mêmes.
Dans les milieux protestants réformés, nous insistons sur la grâce parce qu’elle nous paraît être le fondement du message de Jésus en rupture avec les pensées philosophiques et religieuses de l’époque. Mais nous l’enfermons dans un cadre religieux en faisant une promesse opérante pour un salut futur. Et dès que nous en voyons des signes sur cette terre nous ne l’acceptons plus. C’est ainsi que nous nous joignons souvent à la foule de ceux qui ne supportent pas que chacun n’ait pas seulement selon ses mérites. Alors, sans nous en rendre compte nous disons : s’il a cotisé moins il touchera moins, il n’a qu’à vivre avec ce qu’il a. Nous refusons la solidarité, la répartition des revenus et des richesses (par le truchement des impôts) comme si tout le monde pouvait acquérir les mêmes choses, avait les mêmes chances. Autrement dit nous refusons les manifestations terrestres de cette grâce et nous nous contentons de l’utopie qu’elle représente sans essayer de l’ancrer dans notre monde.
Jésus semble nous dire ici que nos attitudes, bonnes ou mauvaises n’attirent pas les imprécations de Dieu ou à l’inverse des bénédictions contrairement à nos pensées naturelles toujours superstitieuses. Enfant, je me souviens avoir entendu ma grand-mère s’interroger sur le fait que les justes et bons avaient souvent des malheurs alors que tout roulait sans problème chez de nombreux méchants. Elle ne comprenait pas que chacun ne reçoivent pas selon ses mérites. Alors elle concluait un peu désabusée par cette maxime en patois : « ploü toutsoun sul bagnat » ce qui signifie : il pleut toujours sur ce qui est déjà mouillé » Elle voulait dire par là que le mal attire le mal, le bien attire le bien et que ce qui arrive n’a rien à voir avec des bénédictions ou des malédictions divines, qu’il faut prendre les choses comme elles viennent et s’adapter à elles. Pour elle, il ne fallait pas chercher des explications dans la religion et s’interroger sur Dieu mais apprendre à vivre dans le monde tel qu’il se présente. A y regarder de près, c’est bien l’attitude de Jésus et ce serait une erreur que de réduire son appel à la conversion à une adhésion à des préceptes religieux et à l’entrée dans une religion. Il ne nous demande pas de changer de comportement pour nous attirer les faveurs de Dieu mais pour que notre monde soit meilleur et que chacun y trouve sa place et son bonheur.
Inutile de spéculer sur le pourquoi des massacres et sur l’effondrement de la tour de Siloé. Ce qui est impératif c’est de s’organiser pour que ces massacres n’aient pas lieu et de mieux construire les tours pour éviter qu’elles ne s’effondrent. Il y a beaucoup de travail et de progrès à faire, les changements demandés par Jésus n’ont pas vraiment eu lieu
La Parabole du figuier
Après avoir par ces récits du massacre des galiléens et de la tour de Siloé expliqué que le mal n’était pas une vengeance divine, Jésus dit la parabole du figuier. Le passage d’un texte à l’autre n’est pas évident. Et pourtant ils se suivent, ce n’est peut-être pas un hasard.
Il m’a semblé qu’ici Jésus veut illustrer ce refrain qui conclue chaque fois les deux premiers récits :
« Non vous dis-je, mais si vous ne changez pas de comportement, vous mourrez tous comme eux ».
Alors que jusqu’ici Jésus nous parlait de l’action de l’homme à travers l’organisation sociale et politique de la Galilée et de l’œuvre de construction avec la tour de Siloé, cette parabole, renvoie à la nature. Que Jésus se serve de la nature pour faire passer le message selon lequel il faut changer de comportement n’est pas surprenant. C’est bien ce que fait Jean Baptiste qui est allé jusqu’à s’habiller selon la nature d’une manière un peu provocatrice :
Il va dans le désert
Il porte un vêtement de poil de chameau.
Il a une ceinture de cuir
Il mange des sauterelles
Du miel sauvage
Il baptise en pleine nature, dans le Jourdain
Notons au passage que ce baptême n’est pas comme on a l’habitude de le dire la conséquence d’une conversion, il est un retour symbolique aux origines puisqu’on y descend au fond de l’eau, il est une immersion dans la nature et enfin la condition pour que le Seigneur vienne et non pas une conséquence de sa venue comme dans le baptême tel que nous le pratiquons et qui suit une rencontre avec Jésus-Christ.
La grâce que Jésus manifeste avec ces deux premiers récits passe ici par une sorte de réconciliation avec la nature. Ce figuier, avant de le couper, il faut le travailler, voir s’il peut encore porter des fruits. Il est hostile par sa stérilité, ce n’est pas une raison pour le supprimer.
Après tout, il serait plus rentable de le couper et sur le terrain y construire (au prix de l’immobilier ! ) et même entrer en conflit avec les voisins en les expropriant pour agrandir le terrain et ainsi construire deux, trois…tours. L’humain est très dévastateur pour la nature.
Hans Jonas, le premier philosophe de l’écologie –qui a dû quitter son pays à l’arrivée d’Hitler au pouvoir – fait l’analyse selon laquelle la violence de la technologie occidentale qui :
Va jusqu’à des milliers de Km pour puiser les matières premières
Soulève des montagnes entières
Modifie de nombreux paysages par la construction de ponts et de barrages
Conduit à une catastrophe globale si aucune prise de conscience n’intervient pour y mettre fin. La puissance technique acquise par l’homme peut bouleverser l’environnement et la sécurité de l’homme.
Il propose ce que l’on appelle « le principe de précaution » qui consiste à s’abstenir de ce que l’homme peut faire techniquement pour ne pas anéantir la nature et le cadre de vie, briser le cadre naturel et l’intégrité physique de l’homme. (Il a été le premier à évoquer les dangers du clonage.)
Pour Hans Jonas la morale de la nature doit prendre le relais de la morale religieuse chrétienne de Kant qui est une morale du prochain ; Je dirai que ces deux morales doivent collaborer et marcher ensemble.
C’est ce que nous montre Jésus avec la parabole du figuier. Cet arbre naturel, il faudra le supprimer s’il ne porte pas de fruit mais un certain nombre de précautions sont à prendre d’abord, afin que la nature soit respectée et qu’elle puisse jouer son rôle. Cultiver le figuier avant de le couper c’est changer de comportement.
Dans une approche morale classique nous imputons toujours le mal au cœur de l’homme. Ici Jésus fait le lien entre le mal et notre relation à la nature. Notre attitude la détruit, dérègle l’écosystème et engendre la violence et la corruption si des limites ne sont pas posées à l’exploitation de la nature. Que de guerres, de famines à cause du pétrole.
Dans ce texte avec ces trois récits, Jésus fait passer ses interlocuteurs d’un sentiment religieux et superstitieux, d’un questionnement sur ce qui plait à Dieu ou lui est désagréable, à une responsabilité à l’égard du monde qui nous entoure.
Il nous invite à harmoniser la nature avec l’action de l’homme pour la paix et la justice.
Formulé encore autrement je dirai que dans ce texte il y a basculement d’une interrogation métaphysique (qu’est-ce que le péché) vers une action concrète (soigner le figuier avant de le couper).Il s’agit bien d’une conversion, d’un changement de comportement.
Serge SOULIE