Œcuménisme ou
Les fonctions de la religion
L’œcuménisme avant qu’il ne porte son nom.
Depuis quelques années les jeunes étudiants en théologie entrant dans un poste pastoral disent donner dans leur ministère priorité à l’œcuménisme. La remarque surprend. En effet le souci œcuménisme remonte aux années soixante sans qu’il porte les fruits que l’on attendait. Tout d’abord parce que l’œcuménisme existait bien avant que les autorités religieuses s’en saisissent. Pendant la guerre, dans les terroirs à dominante protestante, de nombreux jeunes hommes catholiques peu encouragés par le curé du village qui le plus souvent penchait pour le gouvernement de vichy sans pour autant être des collabos, se joignaient aux jeunes protestants pour fuir le Service du Travail obligatoire en Allemagne ou plus radicalement encore entrer dans la résistance. De fortes amitiés se sont liées à ce moment-là, elles ont continué après la guerre. Le dimanche à la sortie de l’église et du temple où chacun se rendait selon sa religion, les cafés du village devenaient soudain un lieu profondément œcuménique où la joie d’être ensemble débordait jusque dans la rue. Il n’y avait plus ni catholiques ni protestants mais des hommes et des femmes qui se sentaient solidaires les uns des autres. Le mot œcuménisme est venu plus tard. Il a désigné alors, la rencontre des instances catholiques et protestantes. Il a été utile pour des récalcitrants qui s’enfermaient dans leur religion tout en jugeant les autres. Il a changé le regard porté sur les dénominations chrétiennes qui n’étaient pas celle à laquelle on appartenait. Ces dénominations n’étaient plus perçues comme appartenant à la même religion.
L’œcuménisme au point mort
Sur le plan théologique il y a eu très peu de changements. Chacun est resté attaché à ses doctrines, à ses dogmes et au fonctionnement de son église. Tout ceci ajouté à la baisse du nombre des fidèles, fait que les rassemblements œcuméniques sont devenus moins pertinents, porteurs de peu de joie et de reconnaissance. Notons que les jeunes prêtres comme les jeunes pasteurs mettent l’accent sur les actes et les symboles religieux. Il y a cinq ans un prêtre âgé, que je ne connaissais pas mais à qui je confiais à la sortie de l’église avoir communié à la messe de minuit en signe d’amitié avec ma belle-fille catholique, me tapait sur l’épaule au nom de la fraternité et m’invitait à communier toutes les fois que j’assisterais à une messe. J’appréciais sa fraternité et son courage. Il passait outre les traditions de son l’église. Son attitude contrastait avec celle de ce jeune prêtre qui rappelait aux protestants présents ce jour-là à la messe, qu’ils ne pouvaient pas communier. Il voulait, disait-il, être fidèle à son église. L’institution passait avant Dieu.
Le protestantisme se religiosise
Il est pour moi douloureux de constater combien aujourd’hui sont nombreux les protestants pour qui l’église est le lieu des rites et des prières. Ils sont plusieurs à demander que la sainte cène (l’eucharistie) soit célébrée tous les dimanches. Ils insistent lourdement sur l’importance des sacrements. Ils minimisent les dérives de certains réformateurs. Loin de s’insérer dans la société actuelle ils se replient sur la religion. Il semble loin le temps où les protestants s’attachaient à définir ce que pouvait être la laïcité. Aujourd’hui ils ont peur et défendent le religieux pour se protéger des « laicards » disent-ils. La peur est la mère de tous les fantasmes et si aujourd’hui nous avions un danger à craindre ce serait celui de voir revenir des religieux au pouvoir quelle que soit la religion. Finis l’abolition de la peine de mort, le droit à l’avortement, le droit au blasphème, la liberté de conscience…
La réalité humaine précède l’idée de Dieu.
De manière générale, les religions pensent qu’elles sont là pour défendre Dieu. Tout récemment, des hommes ont été condamnés à mort au motif qu’ils avaient la haine de Dieu. Lors d’un voyage dans un des pays d’Afrique, le guide recommandait aux touristes de ne pas dire publiquement qu’ils étaient incroyants et qu’ils n’avaient rien à faire de Dieu. Comment ne pas se rappeler alors qu’un certain Jésus, considéré comme le fondateur de la religion chrétienne à fait passer l’humain avant les positions de sa religion. Il a mis Dieu et l’homme sur un pied d’égalité. Il invite à aimer Dieu comme soi-même et comme son prochain. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur… et ton prochain comme toi-même. Math 22/34-40 ». Jésus a introduit le pardon dans toutes les relations humaines y compris celles qui sont condamnables. Il pardonne et libère la femme adultère. Il lui évite la lapidation. Jésus ne prend pas le parti de Dieu étant donné la nature de celui-ci. Une telle attitude n’aurait aucun sens. Il prend le parti de l’homme jusqu’à en mourir. Dans de nombreux pays, on condamne à mort au nom de Dieu. Une telle violence nous surprend et nous révolte. Mais réfléchissons ! Nous sommes sur ce chemin toutes les fois où nous faisons passer Dieu avant l’homme. J’ai rencontré des hommes et des femmes qui avaient la haine de Dieu et par extension de tous ce qui à leurs yeux représentaient Dieu : l’église, le temple, les prêtres, les pasteurs, les religieuses, les moines. Cette haine venait de l’image qu’ils se faisaient de Dieu et de la souffrance qui était la leur. Mais qui étaient les responsables de cette haine ? N’est-ce pas ceux dont le rôle était de corriger les représentations de Dieu ? N’est-ce pas à eux de les mener vers de plus justes connaissances ? Encore faudrait-il que les religions osent repenser leurs croyances, leurs doctrines et regarder à l’humain avant de lever les yeux vers le ciel pour réinventer Dieu. Ce travail n’est pas fait et le retour en force du religieux, y compris au sein de l’église protestante ne laisse pas augurer de changements heureux. Notons pour nous encourager et pour dire que rien n’est perdu, qu’il est possible de vivre dans la présence divine et avec le compagnonnage de Jésus sans pour autant être des fidèles de l’église. Tout dépend des choix faits par celle-ci et des buts poursuivis.
L’Eglise veut évangéliser.
Mieux cerner les buts poursuivis par l’église mériterait clarification et précision. Cette démarche n’a pas lieu l’église restant persuadée qu’elle est chargée par Dieu d’une mission qu’elle pense connaitre. Bien que de bonne foi, ce propos ne manque pas d’orgueil. L’histoire en témoigne. Après la mort de leur maitre les disciples sont désarçonnés. Ils s’interrogent sur la poursuite de l’œuvre de celui qu’ils suivent depuis plusieurs années. Apparaissent alors les premiers dogmes et les premières doctrines comme pour figer ce qu’ils avaient connu du temps de Jésus. Ils cherchent à maintenir l’élan de vie et d’amour qu’il insufflait par ses paroles et par ces actes. Puis est apparue l’idée devenue une certitude, selon laquelle il y aurait un autre monde après la mort. La vie terrestre devait être consacrée à acquérir le droit d’y entrer. L’église s’est alors présentée comme la porte d’entrée de ce royaume autre que terrestre. La Réforme est venue modérer cette croyance en un au-delà. Elle a minimisé la rupture entre un royaume céleste et un royaume terrestre. Elle n’a pas pu aller aussi loin que le lui disait son intuition. Pour continuer à exister elle a dû s’aliéner aux pouvoirs en place. Elle est restée une puissance autoritaire comme le montre la présence de Calvin à Genève. Sa tentation est de pactiser avec les régimes politiques puissants, ennemis de la démocratie. L’effort pour continuer d’exister passe avant les services rendus à la planète terre et à sa population.
L’évangile de Jésus n’est pas celui inventé par l’église
Cette attitude contraste avec celle de Jésus. Il n’invite jamais à venir à la synagogue et à suivre les religions de l’époque y compris celle de son pays. Bien au contraire. Lorsqu’il va à la synagogue, c’est pour bousculer les traditions et remettre en cause ce qui s’y passe. Il se rend disponible pour tous ceux qu’il rencontre. Il brise les chaines de ceux qui sont prisonniers de leurs convictions et de leurs richesses. Il libère ceux qui souffrent dans leur corps et ont perdu une large partie de leurs moyens. Il s’intéresse à ceux qui sont mal aimés, méprisés et rejetés. Il est pris de compassion pour ceux qui se trompent dans la manière de gérer leur vie. Il ne les juge pas. Il les libère.
Aujourd’hui, pour l’église, quelle que soit son obédience, évangéliser c’est mettre en place tout ce qui ramènera des adeptes en son sein. Elle est triste lorsqu’elle voit ses fidèles la quitter. C’est alors qu’elle survalorise et renforce tout ce qu’il y a de plus religieux : les rites, les dogmes, les doctrines, les traditions. Elle cherche à plaire à Dieu espérant attirer vers elle le plus de gens possible en présentant au monde un visage sécurisant. Elle n’a pas conscience que de tels efforts vont à l’encontre de ce que pourrait être une évangélisation tournée vers les humains. Une évangélisation apportant guérison et libération parce que se situant au cœur de la force divine animant tout ce qui existe sur cette terre. Il ne s’agit pas de s’en remettre à l’épanouissement personnel mais de rejoindre l’autre dans cette présence divine.
Evangéliser c’est rendre à chacun la liberté
Ce n’est pas à l’église d’évangéliser mais à tous ceux qui, où qu’ils se trouvent, portent en eux cette présence divine. On ne le dira jamais assez, évangéliser ce n’est pas convaincre, ramener des gens à soi, à sa religion, à ses convictions. C’est permettre à celui qui est enchainé d’abandonner ses liens. Le rôle de l’église est d’éveiller la conscience, de faire connaitre ce qui libère et proposer une formation lorsque celle-ci est présente dans la société. Rien n’interdit les membres de l’église d’évaluer au nom de la foi les formations reçues et de les compléter si besoin est, ou, cas extrême, de les contester. Dans le centre protestant que nous avions mis en place dans la région parisienne il y a une quarantaine d’années, des femmes et des hommes se formaient pour répondre aux demandes de ceux qui fréquentaient les activités. Des jeunes préparaient leur BAFA pour être moniteurs de colonie de vacances. D’autres se formaient pour animer des ateliers divers et variés. De nombreux couples fréquentant le centre traversaient des difficultés conjugales. Une infirmière suivit une formation pour être conseillère conjugale. Nous cherchions avec elle en quoi la foi pouvait apportait un plus dans cette fonction qu’elle exerçait bénévolement à temps trouvé. Nous y avons découvert que certaines conceptions proclamées par l’église étaient erronées et inopérantes comme par exemple la conception traditionnelle du divin. Nous avons été convaincus que le mariage n’est pas un contrat mais une communion sans pour autant être un sacrement. L’église a le droit de faire des choix éthiques. Elle peut par exemple inviter les couples à s’unir pour la vie. C’est une position qui tranche avec la situation actuelle ou plus d’un couple sur deux se sépare. Mais que propose-t-elle pour aider les couples à construire une vie à deux et en famille lorsqu’il y a des enfants ? Il ne s’agit pas d’avoir son opinion sur la séparation au sein de couple ou de porter des jugements, mais d’indiquer et donner les moyens à ceux qui font le choix de passer leur vie ensemble jusqu’à ce que la mort les sépare comme le dit la liturgie des mariages de l’église protestante. Le travail avec d’autres associations permettait de s’adjoindre d’autres spécialités comme des permanences pour les addictions ou pour l’accueil de sortants de prion et autres SDF.
Aucune église, aucune communauté chrétienne quelle que soit son obédience, ne peut se replier sur une religiosité faite quasi exclusivement de réunions de prières, d’études bibliques, de liturgies, d’actes sacramentels et d’offices religieux, si elle veut être fidèle à la bonne nouvelle voulue par Jésus. Lorsqu’il n’y avait pas d’instruction publique, l’église ouvrait des écoles. Lorsque l’école est devenue obligatoire et publique les protestants ont cédé leurs écoles à l’Etat. Aujourd’hui l’école libre et privée est plus une concurrence à l’école laïque qu’un service rendu à toute la population. Seules se justifient des expériences novatrices, l’école publique étant parfois sclérosée, sans diversité et inadaptée aux situations actuelles. Toute religion représente un danger pour la démocratie lorsqu’elle veut imposer sa manière de voir et de comprendre la réalité des choses à partir de ce qu’elle croit avoir reçu et entendu de Dieu. La réalité de l’humain ne fait alors plus le poids face à tout ce qui est imaginé au sujet de Dieu. C’est la porte ouverte au pire. Il suffit de regarder autour de nous pour être éclairé et convaincus. Dans une démocratie la religion participe à l’animation de la société. En aucun cas elle ne peut ni commander ni légiférer pour le peuple.