Le lecteur des Évangiles qui n’est pas engagé dans la foi chrétienne s’étonne qu’il ne soit jamais fait mention de la relation amoureuse du Christ. Pour l’homme moderne avoir trente ans et fréquenter librement autant de femmes comme le fait Christ conduit inévitablement à des relations consenties avec une ou plusieurs d’entre elles. Naissent alors de nombreux fantasmes. Marie de Magdala dite aussi Marie Madeleine, libérée par Jésus de sept démons, identifiée parfois à la pécheresse autrement dit à la prostituée, la première à voir le Ressuscité, est souvent considérée comme la maîtresse voire l’épouse charnelle du Christ. L’Église qui, tout au plus ne voit en cette femme que l’épouse spirituelle, a considéré cette supposition comme un blasphème en s’abritant derrière sa théologie selon laquelle Jésus est Dieu. Dans les Églises Protestantes, le blasphème n’est pas reconnu officiellement et Jésus, à quelques exceptions près, n’est pas considéré comme un Dieu. L’expression « Marie mère de Dieu » n’est pas utilisée.
Cette position protestante laisse la liberté de penser que Jésus ait pu avoir une vie sentimentale et amoureuse comme tout humain sans que cela vienne entacher le caractère de sa mission. Il n’est pas pour autant possible de se laisser aller à tous les fantasmes, la liberté même y perdrait sa nature. L’étude des textes et l’analyse des attitudes de Jésus suffisent pour nous conduire dans nos recherches.
Tout au long des vingt siècles qui nous séparent de lui, Jésus a été perçu comme un thaumaturge, un faiseur de miracles. Il est le guérisseur par excellence y compris des maladies dites incurables. Ce pouvoir de guérison lui aurait été donné par Dieu comme il a été donné, selon l’Eglise catholique, a des hommes et des femmes appelés saints. Cette vision de la personnalité et de l’action de Jésus qui fait de lui une sorte de magicien, nous empêche de voir en quoi l’attitude et le comportement de Jésus sont facteur de libération. Sa relation aux femmes permet de mieux cerner l’attitude de libération retrouvée dans les relations qu’il tisse avec ses disciples, les malades et le peuple en général. Il serait plus juste de le comparer à un psychanalyste aguerri permettant à chacun de reconquérir la liberté perdue au cours de la vie.
Notons tout d’abord que Jésus n’évite pas la rencontre avec les femmes y compris semble-t-il dans les lieux et les moments jugés compromettants. Il rencontre la samaritaine seule alors que les disciples « sont allés à la ville pour acheter des vivres ».Il lui sera reproché de fréquenter et de considérer les femmes de mauvaise vie comme il le fait avec celle qui s’est introduite, peut-être une habituée, dans la maison du pharisien le recevant.
Jésus fait passer la réalité de la vie avant les conventions habituelles ignorées par les hommes sans le reconnaitre, y compris les plus religieux tels les pharisiens, tant ces conventions paraissent inutiles. Il dit au pharisien : « tu ne m’as point donné d’eau pour laver mes pieds, elle les a lavés de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as point donné de baisers, mais elle n’a point cessé de me baiser les pieds. Tu n’as point versé d’huile sur ma tête mais elle a versé du parfum sur mes pieds ». Le pharisien n’a pas respecté les traditions. Jésus ne le lui reproche pas. Il lui montre ce par quoi elles peuvent être remplacées.
Jésus ne craint pas d’engager son corps dans la relation avec les femmes et les hommes. Il se laisse toucher (les pieds, les mains, la tête, le côté) et n’hésite pas à toucher à son tour. Son corps est lié à sa parole. Il ne craint pas la demande d’amour démesurée de ces femmes dans la détresse : les pécheresses qui courent après lui, Marie assise à ses pieds, Marthe qui s’affaire pour que tout soit parfait, la Samaritaine qui a eu cinq maris. Il accepte le transfert c’est à dire le rôle dans lequel l’enferme momentanément chaque demanderesse afin de la conduire au-delà d’une quête impossible autrement dit vers la liberté. Cette constante on la retrouve dans les quatre Evangiles. Quel contraste avec ces chrétiens qui aujourd’hui se gargarisent de versets bibliques, de prières où encore s’astreignent à pratiquer les rites de leur religion sans que cela viennent interroger leur façon de penser et leurs attitudes à l’égard d’eux-mêmes et des autres. Adultères, incestes, agressions sexuelles mais aussi vols, faux témoignages, accusations sans fondements, dénonciations, j’ai été surpris de constater combien ces déviances sont encore présentes chez les personnes les plus religieuses comme si leur foi n’avait aucun effet sur l’éthique de leur vie. Ce sont souvent les chrétiens les plus réservés, les plus tièdes, les plus méfiants à l’égard d’une surexcitation religieuse qui vivent le mieux l’équilibre de leur vie pour eux, leur famille et tous les autres.
Au vue de sa relation à la femme, il semble qu’attribuer à Jésus des relations amoureuses entretenues et suivies, voire des passages à l’acte avec Marie-Madeleine par exemple, soit en contradiction avec sa démarche de libération. J’ai reçu pour des entretiens cliniques des femmes qui avaient couché avec leur analyste, leur psychologue et psychothérapeute, médecins, ou encore des pasteurs. Toutes avaient interrompu la cure et la relation. Elles disaient n’avoir jamais voulu être leur maitresse. Elles vivaient mal d’avoir donné plus de plaisir qu’elles n’en avaient eu. Elles s’auto accusaient s’attribuant le terme de déchet et paraissaient détruites par ce qui leur était arrivé. Elles disaient être revenues au point zéro et voulait recommencer de nouvelles thérapies et de nouveau programmes avec des personnes différentes. La psychanalyste Sarah Chiche va jusqu’à écrire qu’étant donné le mécanisme de régression où la patiente redevient comme un enfant, coucher avec elle est comme un acte de pédophilie. Elle le dit pour ce qui concerne la cure psychanalytique, c’est vraie aussi pour tout accompagnant parce que la régression et le transfert sont toujours possibles. « Ce pasteur était pour moi un père, j’étais comme son enfant » disait l’une d’entre elles. Certaines avaient couché avec leur médecin, leur dentiste, leur kiné. Elles attendaient de leur part une réparation, elles ont eu une relation sexuelle. Ces praticiens ont profité du transfert et de l’attente de leurs patientes, qu’il y ait divan ou pas, en lieu et place d’une neutralité bienveillante qui aurait évité bien des dégâts.
On comprend pourquoi il est bien difficile de penser que Jésus ait eu des relations avec ces femmes rencontrées tout au long de son ministère. S’il avait couché avec Marie- Madeleine, celle-ci serait restée empêtrée dans l’histoire qui l’avait amenée à se prostituer. Elle aurait simplement changé de partenaire. Elle n’aurait pas découvert l’espace ouvert par la résurrection au matin de Pâques. La neutralité de Jésus leur a permis d’accéder à leur être. Sans cette neutralité elles seraient restées prisonnières de leurs liens. Certes, Jésus, humain parmi les humains, était traversé par les sentiments que connaissent tous les hommes. Il a pleuré lors de la mort de son ami Lazare. Il a pu être amoureux de ces femmes qui a un moment donné l’étaient de lui. Il a su les conduire au-delà de leur désir du moment et leur permettre d’accéder à une vie libre en renonçant à une relation sexuelle avec elles. « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait » s’écrie la Samaritaine. Enfin, elle voyait clair dans sa vie. Il n’y a pas de pénis thérapeutique comme voudraient le faire croire certains thérapeutes pour justifier le passage à l’acte. Celui de Jésus ne l’était pas davantage.
Reste la question de savoir pourquoi Jésus est resté célibataire. En effet, il aurait pu, comme la plupart des hommes, être lié à une femme tout en ayant l’attitude qu’il a eue avec toutes les autres. Difficile de répondre à une telle question. On peut penser que, supputant le dénouement de son histoire, il n’a pas voulu prendre le risque de fonder une famille. Il n’a pas rendu pour autant le célibat obligatoire pour celui qui voudrait marcher à sa suite et s’engager avec les autres dans une relation libératrice. Le célibat est un choix libre et personnel pouvant être remis en question à tout moment de la vie. Aucune institution ne peut l’imposer sans risques