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6 mai 2022 5 06 /05 /mai /2022 09:29

Comment ça va ?

            « Comment ça va ?» est l’expression de salutation la plus courante dans notre pays. Elle est adressée aux vieux comme aux jeunes, aux malades comme aux biens portants. La formule permet d’entrer en contact avec l’autre. C’est un automatisme, aucune réponse n’est attendue au point qu’un « je te remercie, mais ça ne va pas du tout » étonne l’interlocuteur qui semble regretter d’avoir posé la question. Il faut être  malade ou âgé pour la trouver pertinente.  Il semblerait qu’à la fin du moyen-âge on l’utilisait pour dire « êtes-vous allé à la selle ?» celle-ci étant le signe d’une bonne santé. Certains osent penser qu’adressée aux vieux, elle renvoyait directement à l’odeur de la défécation. A une époque où il était difficile de faire sa toilette par manque total de confort, la vieillesse compliquait les choses ! Ce n’est qu’une hypothèse mais il est vrai que dans certaines maisons de retraites négligées cela ne sent pas toujours la rose. Il m’est arrivé de le signaler auprès de la direction avec toujours les mêmes réponses : « cette personne se salit régulièrement, on manque de personnel ou encre les égouts ne fonctionnent pas bien en ce moment».

            En Occitanie et plus particulièrement dans les montagnes du Tarn où il y a cinquante ans nous parlions tous le patois, autrement dit l’occitan, sauf à l’école où c’était interdit, on ne se saluait pas en disant comment ça va mais « qu’est-ce que tu racontes ?  ». La réponse était  inévitable et très variée. Bien sûr la santé n’était pas oubliée. On osait en parler parce que, comme dit le dicton, quand la santé va, tout va. Nous ne connaissions pas le fameux secret médical. Chacun avait sa tisane à proposer et l’exemple d’un voisin guéri pour enfin améliorer la situation. Le temps était régulièrement cité. Dans un milieu rural où les trois quarts de la population travaillaient la terre la pluie et le soleil étaient des amis invités à tour de rôle. Les prévisions météo n’existaient pas. Le baromètre, que seuls les plus aisés possédaient, était le maitre du temps suivant qu’il montait ou descendait. Heureusement il y avait aussi quelques dictons, toujours en occitan, qui ne pouvaient dire que le vrai. Ils étaient suivis à la lettre et peu importe si le vent tournait, Ils avaient toujours raison. Le travail occupait aussi du temps lors de ces échanges. Les nouvelles techniques, les expériences des uns et des autres venaient enrichir les connaissances de chacun. Une vraie encyclopédie orale. Chacun pouvait se raconter. Les uns parlaient beaucoup d’eux-mêmes et de leurs voisins. Les autres, moins bavards livraient à travers l’exposé de leur occupation, et de leur réflexion les profondeurs de la vie qu’ils menaient.  

            Ce serait faire injure à l’humour que d’oublier qu’il était bien présent dans la réponse à la formule « qu’est-ce que tu racontes aujourd’hui ?». Il tenait une grande place.  Les choix irrationnels et  illogiques de celui-ci ou de celui-là, prêtaient à sourire, à se moquer parfois. Pour autant  pouvaient être enviés tant ils paraissent osés et modernes. On se racontait de belles histoires de chasse où l’animal, à l’image des fables de La Fontaine,  devient un personnage se jouant de l’humain tel ce chasseur fatigué et endormi réveillé par le  lièvre qu’il poursuivait en vain.  Il y avait  l’incartade affective d’un tel ou d’une telle, les hommes et les femmes étant déjà égaux bien avant le féminisme des années soixante-dix. Ici pas de jugement moral, pas même d’ironie. C’eut été trop méchant. Mais des sourires comme pour exprimer de la tendresse au trompeur comme au trompé, au fidèle comme à l’infidèle. Chacun se disait que ce qui arrive aux autres pourrait lui arriver aussi.  L’humour n’empêche pas de préserver l’avenir !

            Pour terminer voici une histoire à se raconter. En occitan elle n’est que plus savoureuse. A ceux qui la voudrait racontée qu’il me le demande. Pour moi, l’occitan est comme le disait le psychanalyste J. Lacan,  ma « lalangue » en un seul mot. Lalangue était la langue de ma grand- mère en particulier et de toute la contrée en général.

            Dans le village trois hommes se rencontrent. Chacun porte un surnom comme une grande partie des habitants de la commune. L’un s’appelle « la Couche » (on dirait aujourd’hui le matelas), l’autre la Puce, le troisième le Poivre. Ces derniers interrogent : alors, qu’est-ce que tu racontes la Couche ? Et celui-ci de répondre : « Je raconte que les Puces se sont mises dans la Couche et qu’il a fallu le Poivre pour les en sortir ». Il fallait y penser ! Le poivre devenu un insecticide puissant. La Couche était un écologiste avant l’heure !

            Au fait, cher lecteur : Qu’est-ce que tu racontes aujourd’hui ? En occitan cette fois : Dé qué countos ? Attention, votre réponse ne doit pas manquer d‘humour pour garder ou acquérir le titre d’occitan !

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Qui suis-je ?

     Titulaire d'une maitrise de théologie et d'un DESS de psychopathologie clinique, j'ai été amené à exercer plusieurs fonctions  et plus particulièrement la mise en place d'un centre socio- culturo- spirituel protestant puis la direction pendant 12 ans d'un centre de cure pour malades alcoliques. J'y ai découvert l'importance d'apprendre à écouter l'humain dans toutes les dimensions qui le constituent. Aujourd'hui, inscrit au rôle des pasteurs de l' Eglise Réformée de France, j'essaie de mettre des mots sur mes expériences et de conceptualiser mes découvertes.
serge soulie

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