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19 mars 2011 6 19 /03 /mars /2011 17:37

nov 008

 

          Elle colportait partout qu’il y a plus de joie à être grand-mère qu’à élever ses propres enfants. «  Je partage tous les moments de bonheur sans me soucier des difficultés que rencontrent tous les parents » disait-elle. Son propos ne semblait pas faire recette. Les plus jeunes mamans laissaient paraître un brin de jalousie comme si on allait leur enlever leur chérubin. Comment peut-on être plus heureuses que nous ne le sommes ? pensaient-elles en leur for intérieur.  Les plus aguerries s’étonnaient de l’insistance d’une telle affirmation. Certaines allaient jusqu’à soupçonner un peu de dépit chez cette dame qui commençait à se  couvrir de cheveux blancs.  Les pères, quant à eux, ne cherchaient pas à comprendre. Peu bavards, ils la laissaient causer sans chercher à répondre.

 

         Seules les grands-mères et les grands pères ne l’entendaient pas de cette oreille. Parfois même ils l’apostrophaient : « Tais-toi et cesse de raconter des bêtises » lançaient les femmes à l’air courroucé tandis que l’ironie se lisait sur le visage de leur mari. Ils savaient eux ce que c’est que d’être grands- parents. S’ils se réjouissaient de passer quelques moments avec leurs petits enfants, ils se rendaient compte qu’ils étaient encore plus heureux de voir leurs enfants heureux. Pour eux les années bonheur étaient derrière eux. Ces années là c’était bien à leurs enfants de les vivre maintenant. Et ils veillaient à ce qu’il en soit ainsi évitant de confisquer auprès des petits enfants la tendresse qu’ils doivent à leurs parents. Ils se vivaient comme un appoint, un dépannage d’un jour. C’était là leur bonheur : être peu de chose toujours pour le bonheur de leurs propres enfants car l’humain à beau vieillir, ses enfants restent ses enfants.

 

         Quant à la grand-mère bavarde, voyant ceux de son âge, prit l’habitude de se taire. Elle découvrit au plus profond d’elle-même qu’elle mentait ou plutôt qu’elle ne voulait pas se dire la vérité à savoir que rien ne vient remplacer les enfants que l’on a élevés tant que l’on  a encore la force d’être des parents. « Vieillir c’est renoncer » répétait-elle doucement, si doucement que personne ne l’entendait.

        

            

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14 mars 2011 1 14 /03 /mars /2011 14:56

 

 

         Solo a tout juste 20 ans. Il est venu me voir ce matin. Il était désolé. Le désarroi se lisait sur son visage. Il me dit qu’il y a trois mois il a perdu sa grand-mère. Il l’aimait et la craignait à la fois parce que, dit-il, elle avait des convictions fortes mais le les imposait à personne. « A peine les avait-elle exprimées que j’étais envahi d’un vent de liberté tout en n’étant pas d’accord »  sanglote t-il.

Hier il a appris qu’un de ses frères a dû momentanément cesser son travail pour cause de forte dépression suivie d’une hospitalisation. Pour couronner le tout son père vient de subir une lourde opération. Jusque là, il avait cru que les moments vécus pendant son enfance dureraient éternellement avec les mêmes acteurs, les mêmes tendresses, la même joie et la même sécurité. Soudain le monde semblait s’écrouler. Il se sentait partir à la dérive sans même trouver un endroit, un lieu où s’accrocher.

 

         Puisant alors dans mes souvenirs je lui dis que tous les enfants perçoivent les moments vécus avec bonheur comme ne devant jamais s’arrêter. Ces moments leur paraissant d’ailleurs d’autant plus longs qu’ils ont peu d’années de vie derrière eux. Le rapport  moments heureux / temps déjà vécu étant encore tout proche de l’unité. Plus l’être humain avance en âge et plus les moments de bonheur intense lui paraissent courts jusqu’à être très fugaces voire inexistants.

 

         Mes propos semblèrent le rassurer. Il se sentait moins seul. Après tout quoi de plus stabilisant que de se sentir comme tout le monde. Mais au moment même où un peu plus de sérénité apparaissait sur son visage, je sentais le mien s’assombrir. En effet, nous les adultes ayant déjà brûlé un bon nombre d’années de la vie, n’attendons-nous pas que plus rien ne bouge dans ce monde ? N’y a-t-il pas là l’origine du refus du progrès, de nos comportements trop souvent réactionnaires ?

Comme des enfants nous voudrions que le vécu se fige souvent en une éternité, refusant que ce monde aille encore de l’avant, peut-être parce que nous ne pouvons plus le suivre. Et nous nous cramponnons à ceux qui  promettent que nos pensions de retraite seront toujours payées, que la morale  sera respectée, que nous resterons dans une sécurité totale et que tout va continuer comme avant. Comme si ces faiseurs d’illusions n’avaient pas à craindre tremblements de terre et tsunamis.

 

         Vois-tu Solo, à un moment donné de leur vie, tous les humains voudraient arrêter le temps, vivre la béatitude en permanence, entrer dans la félicité pour toujours. C’est à croire qu’il y a en chacun de nous un désir profond d’Eternité.

 

                                                                         

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27 mars 2010 6 27 /03 /mars /2010 14:31
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                Alors que j'effectuais un stage dans une association  d' une de nos grandes villes françaises, le comité de rédaction  du journal édité par cette même association en un millier d'exemplaires m'envoya faire une enquête pour demander aux lecteurs  ce que signifiait pour eux la fête de Pâques. Il y a quarante ans de cela on constatait déjà que sont de moins en moins nombreux ceux qui connaissent l'origine de nos fêtes chômées.

                Je rencontrais une dame d'une cinquantaine d'années qui me raconta son histoire et dont le passé alcoolique avait détruit de nombreuses années de sa vie.  Elle y avait perdu une bonne partie de sa santé et plus encore disait-elle tous ceux qu'elle aimait et tout particulièrement son mari et ces enfants placés dans des établissements adaptés. Pour elle Pâques signifiait ce moment où elle avait pu passer de cette vie de personne dépendante de l'alcool au bonheur qu'elle vivait actuellement.  Elle comparait l'alcool à la mort qui la retenait dans ses griffes et l'abandon de toutes boissons alcoolisées à une résurrection. Elle insistait beaucoup sur ce passage d'une situation à une autre et sur cette liberté conquise depuis qu'elle avait pris et tenu la décision de ne plus s'alcooliser.

                En bon étudiant, je lui faisais remarquer que le mot  pâques signifiait passage dans l'ancien comme dans le nouveau testament : passage d'une terre et d'une situation à une autre pour le premier, passage de la mort à la vie pour le second.

                Elle m'avoua n'avoir jamais compris grand chose à la religion mais avoir vécu une expérience qui en quelque sorte l'avait arrachée à la mort et lui avait ouvert une nouvelle vie.

                Toujours en bon étudiant en théologie,  je m'inquiétais alors de savoir ce qui en était pour elle de la résurrection après sa mort réelle.

                Ma question parut la contrarier. "Je vous ai dit que j'étais morte et que maintenant je suis bien vivante, me dit-elle en substance,  presque sèchement. Pourquoi voulez -vous que j'en rajoute. Je suis vivante pour l'Eternité que je meure ici et maintenant ou que je vive sur cette terre encore quelques temps".

                Ce fut ma première grande leçon de théologie qui me fit sortir de la théologie telle que je l'avais  comprise jusque là.  Elle ne savait pas ce qu'était Pâques dans la religion mais elle en avait fait l'expérience. Pour moi, c'était le contraire : j'étais passé à côté.

                                                                                              Serge SOULIE

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19 mars 2010 5 19 /03 /mars /2010 10:57

 

            Je les ai vu partir, Jacques  Brel, Georges Brassens, Leo Ferré ou encore Barbara mais aucun ne m'avait donné autant d'émotion. Je n'avais jamais ressenti ce désir pressant d'assister aux obsèques pour un dernier adieu. Le départ de Jean Ferrat a changé la donne sans que je comprenne pourquoi puisque d'une part je ne l'avais jamais vu sur scène et d'autre part je n'écoute pas plus souvent ses chansons que celles de tant d'autres chanteurs au talent plus ou moins reconnu . Enfin s'il fallait hiérarchiser mes préférences, c'est Brassens qui l'emporterait.

            Jean Ferrat était peut-être le moins savant de tous, il disait lui même qu'il avait dû travailler dès l'âge de  quinze ans pour subvenir aux besoins de sa famille mais s'il utilisait des mots simples c'était toujours à bon escient, des mots qu'il allait chercher dans le langage commun,  des mots qui en disaient toujours plus parce qu'il savait les placer. Enfin des mots qu'il ne tirait pas seulement de la littérature mais qu'il puisait dans le  plus profond de l' être. Il parlait avec le cœur et ses refrains s'inscrivaient tout naturellement dans notre mémoire sans  qu'aucun effort  ne soit nécessaire. L'émotion est le ciseau graveur de nos cœurs.

            On a dit que Jean Ferrat était un chanteur engagé, un militant. C'est vrai, il le disait clairement et son séjour à Cuba a été un moment fort de son existence. Mais cet engagement n'avait rien d'agressif. Il était puissant parce qu'il s'inscrivait dans la vie de tous ceux qui ont souffert et souffrent encore. Il invitait au changement et donnait l'espoir par la poésie ; à travers elle , il touchait au plus intime de soi comme au vivre ensemble de tous dans ce monde.

            Jean Ferrat nous faisait aimer la France qui l'a protégé, après la déportation de son père, à travers des plus modestes d'entre nous. Quel contraste avec tous ceux qui nous amèneraient à la haïr si nous n'y prenions garde et si nous nous laissions aller à l'abandon de la poésie.

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28 février 2010 7 28 /02 /février /2010 09:27


       Il est toujours là le vieux garagiste, affairé dans son garage. Légèrement voûté, pour avoir trop mis le nez sous le capot  des voitures. Quelques cheveux raides et grisonnants, bien peignés,  lui cachent la nuque.  Il va et vient d'un moteur à l'autre. Il fait toujours trois choses à la fois. Regardez le : il met de l'huile dans la culasse du cabriolet de Madame la marquise, tout en exposant le diagnostic catastrophique de la panne du gros  4X4 de Monsieur le  Directeur ce qui ne l'empêche pas d'actionner avec son pied droit le cric qui soulève la voiture de la vieille dame. Il va changer la roue.
     
       L'autre jour, de l'autre côté de la ville, j'ai dû ranger ma citadine sur un trottoir, l'embrayage avait lâché. J'ai couru sans réfléchir chez mon garagiste . Il bricolait  deux choses à la fois , comme à son habitude. Après avoir entendu ma mésaventure, avec la  main non occupée il m'a tendu un trousseau de clés, m'a désigné une barre de tractage et la dépanneuse. Me voilà parti pour remorquer ma voiture jusque dans son garage.

       Sur son agenda, il est marqué " fermeture samedi prochain " pour cause d'anniversaire. Sa famille l'a obligé à marquer pareille sottise grommelle-t-il.  Le garage sera fermé.  Voilà quatre vingt ans qu'il n'avait jamais pensé à sa date de naissance.Ceux qui l'aiment ont pensé pour lui. Bon anniversaire Monsieur le garagiste ! moi aussi, je vous aime bien!

       Le matin pour acheter le journal,  le portail franchi, je peux tourner à gauche ou à droite.  Je pars toujours du même côté. Du côté du garage bien sûr. Pour voir mon garagiste. Tout travaille chez lui : la tête, les jambes, son corps. Je le salue, il me salue. Je le regarde. Je suis heureux, il me rend paresseux !

        Dans quelques mois il se retrouvera peut-être seul dans son garage. Son fils va prendre la retraite. Il va fêter ses soixante ans.  Il travaille au garage depuis plus de quarante ans. " Il l'a bien méritée sa retraite " dit le père, " Ici le travail est très dur, je ne trouve pas de remplaçant, les jeunes ne veulent plus travailler ".

         Mais non , Monsieur le garagiste. Le problème est que, de nos jours, les voitures ne tombent plus en panne.

                                                                                                        Serge SOULIE

       
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Qui suis-je ?

     Titulaire d'une maitrise de théologie et d'un DESS de psychopathologie clinique, j'ai été amené à exercer plusieurs fonctions  et plus particulièrement la mise en place d'un centre socio- culturo- spirituel protestant puis la direction pendant 12 ans d'un centre de cure pour malades alcoliques. J'y ai découvert l'importance d'apprendre à écouter l'humain dans toutes les dimensions qui le constituent. Aujourd'hui, inscrit au rôle des pasteurs de l' Eglise Réformée de France, j'essaie de mettre des mots sur mes expériences et de conceptualiser mes découvertes.
serge soulie

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