La laïcité et l’éthique sans Dieu
Afin de poursuivre un dialogue avec une personne qui a été bouleversée dans sa foi, par les livres de Yuval Noah HARARI, J’ai été amené à lire ou relire des passages de ses livres (Sapiens, homo Deus, 2I leçons pour le XXIème siècle) Agé d’une quarantaine d’année, très engagé dans les activités de l’église locale (ERF) depuis sa jeunesse, notre ami dit avoir pris un virage à 180° depuis qu’il lit et relis ces ouvrages et tout particulièrement ce qui concerne Dieu et la laïcité. Plus que surpris, c’est le contenu même de sa foi qui est remis en question.
Selon Yuval Noah Harari, « l’idéal laïque est attaché à la vérité qui repose sur l’observation et la preuve, plutôt que sur la foi ». Cet idéal est ce à quoi le laïque aspire, plutôt qu’une réalité sociale. Je note en passant qu’il devrait en être de même pour le royaume de Dieu. Lorsque certains s’obstinent à le réaliser sur terre, il devient tyrannique et dangereux pour tous.
Pour l’auteur ce qui fait l’éthique et qui guide l’homme dans les conduites à tenir, ce sont les situations et les besoins exprimés par chaque personne. Il n’est pas utile, il est même contreproductif de s’en référer à une puissance extérieure qui dirigerait tout. L’éthique ne repose pas sur l’obéissance aux édits de tel ou tel Dieu mais sur une profonde appréciation de la souffrance.
Exemple : le laïque ne tue pas parce qu’un ancien livre, dit sacré, le demande. Il ne tue pas parce que toute tuerie crée une souffrance. (J’ajouterai qu’elle attise la vengeance, tuer n’arrête pas la guerre). L’homme n’est pas soumis à un « Dieu le veut » ou « c’est la volonté de Dieu ». Dans les moments difficiles (tuer un dictateur sanglant) le laïque ne se demande pas ce qu’ordonne Dieu ; il pèse méticuleusement les sentiments de toutes les parties concernées, examine toutes les possibilités et cherche une voie moyenne. L’homme ne peut être motivé que par la compassion et non par l’obéissance.
Dans le droit fil de cette pensée, l’humain n’est pas fidèle parce qu’il obéit à des commandements divins mais parce qu’il est à l’écoute de ses passions. Il sait que l’infidélité fait du mal à celui qui est trahi et qu’elle est source de désordre. Pour rejoindre la pensée de Kant, je dirais que l’humain ne veut pas faire à autrui ce qu’il ne voudrait pas qu’on lui fasse.
Autre exemple : ce sont les découvertes scientifiques et médicales qui traitent les maladies. Les découvertes du XXème siècle sont sans appel : les vaccins, les antibiotiques…Rien à voir avec des invocations à des forces extérieures non identifiées.
L’auteur insiste aussi sur l’enseignement qui permet de distinguer la vérité de la croyance. L’homme a tout à gagner à admettre sont ignorance et chercher ainsi de nouvelles voies. Le laïque regarde en face sa part d’ombre. Il apprend ainsi à douter, à se remettre en question. Il devient alors responsable et ne porte plus le bien comme le mal au crédit d’un protecteur divin ou d’un être maléfique.
Autrement dit pour HARARI, tout est déjà donné à l’homme, il lui suffit de le découvrir, de s’en saisir et de le gérer. Ceci fait penser à la maïeutique de Socrate. Pas besoin d’un Dieu. On ne réduit pas la souffrance et la misère avec des commandements divins. « La laïcité peut nous offrir toute les données dont nous avons besoin » écrit-il.
Entre temps j’ai été amené à lire le livre d’Edouard Louis « en finir avec Eddy Bellegueule ». On suffoque en plongeant, par la lecture seulement, dans ce milieu de racisme, de violence du langage, de pauvreté, de déstructuration des personnalités. Je me dis que tout n’est pas donné quasi naturellement. Le nécessaire n’est pas toujours là à la naissance. Pour le moins, tout n’est pas disponible. Comment donner un cadre de vie possible à toutes ces populations à la dérive souvent regroupées dans des quartiers où tout est devenu banal : Alcool, drogue, sexe, vol, meurtre. Des populations qui fréquentent parfois des offices religieux à l’occasion de baptêmes, communions sans que rien ne change pour autant.
Pour HARARI, l’enseignement apportera les solutions à tous ce dérèglement de la vie. Mais l’école est-elle préparée ? Il y a beaucoup d’options possibles, on le voit avec l’éducation sexuelle par exemple. Quelles options retenir ? Respecter les lois de la république est-ce bien suffisant ? L’école pour reprendre et contredire les propos de l’auteur « n’apprend pas aux enfants à distinguer la vérité de la croyance ; à développer leur compassion pour les êtres souffrants ; à apprécier la sagesse et les expériences de tous les habitants de la terre ; à se situer vis-à-vis des produits ou des comportements addictifs ; à penser librement sans avoir peur de l’inconnu ; à assumer la responsabilité de leurs actions et du monde dans son ensemble ». J’ajouterai, que l’école n’apprend pas à travailler sur soi, à sublimer ses passions, à développer un esprit critique suffisamment bien étayé pour faire ses choix. Mais est-ce bien son rôle ?
Et nos églises ? Elles ne répondent plus au besoin de ces populations égarées pour ne pas dire à la population tout cours ! Les catéchismes non plus. (Voir les catéchismes avec le pardon, la grâce, la liturgie…) Le Dieu tel qu’il est perçu ne fonctionne plus. Y a-t-il un endroit qui prépare à voir les choses autrement ? Un endroit qui permettrait de comprendre Dieu non comme une instance mais une force créatrice, évolutive, nourricière. Un endroit où l’on puisse repenser l’humain libre, généreux, sociable. Un endroit qui paraisse ouverts à tous parce que plein d’intérêt pour tous.
A moins qu’il soit nécessaire pour certains d’imaginer un Dieu qui dirige tout par interdictions, réprimandes ou récompenses. Un Dieu maniant l’amour comme la tyrannie. Un Dieu monarque traçant votre vie et auquel vous devez obéissance sans discussion. Un Dieu entre les mains duquel vous n’êtes qu’une marionnette. Certains ont peut-être besoin d’un tel Dieu. C’est ce que pensent les gourous, fondateurs de sectes, se servant de la bible à travers une lecture littérale pour asseoir leur pouvoir. De ce que j’ai vu, l’expérience n’est pas probante. On ne responsabilise pas l’humain en le mettant sous le joug d’un Dieu, encore moins d’un autre, fut-il éclairé ou d’une institution.
Lorsque je pense à ce que nous devons inventer pour répondre aux mutations actuelles, me reviennent deux textes tirés du Nouveau Testament :
-Jésus disant à plusieurs reprises : « vous avez entendu… mais moi je vous dis. (Matthieu 5/21à48). Il souligne que cela a été dit aux anciens, autrement dit c’est une vieille histoire. Il n’hésite pas à s’inscrire dans un changement radical qui recouvre plusieurs domaines et qui met en jeu la relation à l’autre : le meurtrier, l’ennemi, méchant, la femme, les habitants de la ville, le prochain, le païen. Le changement qu’il propose a de quoi faire parler.
-L’autre texte c’est celui de l’apocalypse de Jean21/5à 6 : Et celui qui était assis sur le trône dit : « Voici je fais toutes choses nouvelles ; Puis il dit : écris car ces paroles sont certaines et véritables » … A celui qui a soif, je donnerai de la source de l’eau de la vie gratuitement ». Ces choses nouvelles continuent. Ce ne sont pas elles qui sont écrites. Il est écrit qu’elles se renouvellent en permanence. Les cieux et la terre sont en mouvement.
Qu’aujourd’hui encore, notre travail soit une nouvelle création.