Les nouveaux responsables d’un restaurant social de la région lyonnaise où viennent manger tous les jours des personnes âgées ont cru bon de changer les menus afin d’améliorer leur santé et de prolonger au maximum leur vie. C’est ainsi que les repas ont été allégés, les matières grasses supprimées, le sel et le sucre réduits au minimum. Nul doute que ces nouveaux promoteurs s’attendaient à des « bravos de prendre soin de nous ». La réaction a été tout autre. Les habitués de ce restaurant ont demandé un retour aux repas auxquels ils étaient habitués arguant qu’ils avaient envie de bien manger et peu importe si cela devait leur raccourcir leur existence. Ils voulaient profiter de la vie jusqu’au bout de leur vie.
Cette réaction parait très salutaire. En effet la société actuelle s’astreint par tous les moyens à prolonger la vie coute que coute. Et cela coûte très cher. C’est ainsi que les dépenses de santé sont devenues exponentielles et les prélèvements pour y faire face insupportables. Le système actuel menace de s’effondrer sans que les vraies questions soient posées concernant les soins à prodiguer et dans quelles limites. Les recherches sont purement économiques. Tout est question d’argent. Des familles, après avoir élevé leurs enfants se voient contraintes de vendre leur maison pour payer la maison de retraite des parents. Quant aux soins à domicile ils sont devenus souvent impossibles étant donné le prolongement de la vie dans des situations de plus en plus compliquées. Il faut des structures spécialisées pour prendre en charge la personne âgée pour des pathologies de plus en plus lourdes qui durent longtemps.
De plus, et là est la réclamation des clients de ce restaurant social, est-il sage et moral de vouloir prolonger la vie au prix de privation de ce que l’on aimait et qui faisait le bonheur quotidien sans qu’il y ait des excès. Bien manger, bien boire, bien dormir, bien se détendre semble être le minimum nécessaire pour être heureux. Alors, pourquoi se priver et entrer ainsi dans un prolongement de la vie qui sera vécu comme une attente insupportable, sans espoir d’aucune amélioration, l’âge faisant tout simplement son œuvre.
C’est à se demander si l’espérance en une vie au-delà de la mort , dans un lieu où la vie terrestre pourrait indéfiniment se prolonger dans ce qu’elle a de meilleur, n’a pas, avec la déchristianisation, fait place à la tentative désespérée de prolonger le plus possible sur cette terre quelles qu’en soient les conditions. Constatons simplement que dans les deux cas nous sommes dans cette tentation qui est de nier la mort et de la vaincre par nos forces et nos moyens. Au ciel on y allait à coup de repentance et d’expiations, sur terre nous y restons à coups d’opérations et de médicaments. Pourvu que la mort ne nous atteigne pas !
Et si le message de la résurrection était d’abord une invitation à laisser venir la mort lorsque le moment est venu. Jésus lui-même ne s’est pas débattu contre la mort. Il a sué du sang à grosses gouttes tant cette mort était injuste. Il ne s’est pas révolté pour autant. De par la méchanceté des hommes et étant donné son parcours et sa filiation, le moment était venu pour lui. Il l’a accepté dans des circonstances épouvantables de souffrances et d’abandon de tous.
La résurrection a toujours été interprétée comme une porte qui s’ouvrait sur une autre vie. Elle peut être aussi vue comme un encouragement à mourir quand la mort est devenue inéluctable Elle valide le temps de la vie passée sur terre. Elle ne dit plus que tout va continuer ailleurs. Elle dit que tout est advenu sur cette terre comme c’était prévu. Le point final peut être posé sans aucun regret. Un film ou un roman ont besoin d’un tel point pour rendre la liberté au spectateur ou au lecteur. De la même façon, la vie a besoin de la mort pour acquérir toute sa dimension et toute sa force. Ne dit-on pas de la mort qu’elle est délivrance ? Les protestants appellent la cérémonie des obsèques « culte de reconnaissance ». Ce terme peut exprimer en effet qu’une page est tournée comme elle devait se tourner. C’est fini. Nous entrons tous et le monde avec nous dans la vie de celui qui vient de la terminer. Ce n’est plus la sienne. Elle est offerte à tous. Un peu comme nous entrons dans la vie de ces résistants qui ont donné la leur pour notre liberté. Nous sommes au bénéfice de la vie de tous ceux qui sont passés sur cette terre.